Atelier d'écriture

El Dorado

Des bateaux ce matin. Et donc un voyage, un long voyage. Les autres textes de l’atelier de Leiloona sont à découvrir ici.

Bonne lecture.


@Leiloona

Ça puait le fuel, l’huile de vidange, la crasse et la clope. Salim se faufila entre les camions. Il avait froid mais il était heureux. Depuis son départ du Soudan, il avait utilisé tous les moyens de transport possibles. Y compris le dromadaire pour traverser le sud de l’Egypte, comme les touristes. Puis ce fut le train, bondé et enfin la longue marche, à pied, jusqu’à Ajdabiya, port de départ Lybien qui lui avait fait quitter l’Afrique. Là, le souvenir était cuisant. Il s’était battu, avait été humilié, volé, violé, avant de trouver enfin une place sur un bateau en partance pour la Grèce. Promiscuité, violence, faim, froid, il avait été pire qu’une marchandise qu’on transporte vers l’Europe.

Encore un camp en arrivant en Grèce. Le comité d’accueil avait été douloureux, c’est le moins qu’on puisse dire. Avec Suleyman et Kamal, ses amis de toujours, il avait réussi à fausser compagnie au reste de la troupe. Et là, il avait fallu marcher, marcher encore, en se cachant. Parfois quelques kilomètres en voiture, quelques autres dans la soute d’un camion. Plusieurs vélos volés leur avaient servi à avancer encore et encore, petit bout par petit bout. Chaque kilomètre les rapprochant de la Manche était une victoire. Et puis un matin, près de la frontière italienne, ils avaient repéré un camion français. A plat ventre, ils avaient glissé et profité du repas du chauffeur pour monter dans la remorque et se planquer au milieu des cartons. Il faisait déjà froid dans ce camion, mais les kilomètres déroulaient et le bonheur britannique se rapprochait minute après minute. L’arrivée à Clermont Ferrand avait marqué une étape. Enfin un peu de repos. Se repérer, savoir comment monter là-haut, près de la mer qui le mènerait vers ces îles britanniques tant convoitées. Il parait que là bas, c’était la merveille. Déjà dans son village, on en parlait.

Il était resté longtemps en Normandie, avait débarqué par le Sud, au contraire des Américains de 44 arrivés sur les plages par le Nord. Là, pas de camp à proprement parlé. Il avait vécu dehors, dans les fossés, au milieu de centaines d’autres qui, comme lui, n’aspiraient qu’à partir depuis qu’ils étaient arrivés. On lui avait donné à manger, à boire, on l’avait habillé, il avait trouvé à se laver, à se raser, à retrouver un semblant de dignité. Il n’était plus un exilé, il était un migrant, terme générique pour tous ceux qui, comme lui, avaint quitté leur pays à la recherche d’un nouvel univers plus vivable et moins misérable.

Et il avait guetté, attendu le bon moment.

Et puis ce camion qui s’était arrêté faire le plein avant de partir. Salim s’était glissé, avait joué son va tout et avait réussi à monter à bord. Un camion frigorifique. Il n’avait pas eu le choix. La couverture dans son sac l’aiderait sûrement. Il avait senti le départ du ferry, était descendu dès qu’il avait pu pour dormir dans un coin du pont arrière.

Et ce matin, l’arrivée à Portsmouth se présentait bien. L’Angleterre, cet El Dorado tant espéré, tant attendu, tant convoité était là, sous ses yeux. Déjà le défilé des bateaux de guerre, des ferries et des paquebots immobiles le long des quais. Il était enfin arrivé. Mais le plus dur restait à faire. Il savait qu’il ne serait pas accueilli les bras ouverts et que les épreuves seraient encore longues et douloureuses. Et que le retour dans son Soudan natal n’était pas exclu, directement cette fois, dans un avion de ligne.

Sur le quai de Portsmouth, le double cordon de police était déjà en place.

 

 

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© Amor-Fati 27 novembre 2017 Tous droits réservés. Contact : amor-fati@amor-fati.fr

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