Atelier d'écriture

Juliette

C’est Jordane Saget qui nous fournit cette semaine la photo de travail.

Cette semaine, les copies étaient à rendre pour le jeudi. Je suis à l’heure. Bonne lecture de ce nouveau texte d’atelier Bricabook.

N’hésitez pas à vous rendre sur le site de Bricabook pour lire les textes de mes camarades qui ont planché sur la même photo.

Et comme d’habitude, je vous encourage à commenter…


©Jordane Saget

Je l’avais surnommée Juliette. Allez savoir pourquoi.

Elle était arrivée vers vingt-deux heures, comme chaque lundi. Elle portait un leggings bleu marine et une paire de Stan Smith. Une veste chinée grise lui descendait jusqu’à mi-cuisse. Habituellement, elle portait plutôt un haut de survêtement.

Comme chaque semaine, elle était restée environ deux heures. Puis était repartie, face à ma chambre, passant de l’obscurité à la lumière diffuse des réverbères. De mon balcon, je la regardais s’éloigner, sans faire le moindre bruit. Sans même respirer de peur qu’elle se retourne.

Mon imagination galopait depuis des mois. Qui était-elle ? Qui venait-elle voir ? Pour quoi faire ? Visitait-elle toujours la même personne ? Un homme ? Une femme ? J’avais beau être attentif, guetter, surveiller la porte de l’hôtel, les ascenseurs, je n’avais jusque-là pas réussi à résoudre l’énigme.

Chaque lundi, c’était le même film qui se jouait. Elle arrivait vers vingt-deux heures, en courant, par la passerelle arrière. Toujours vêtue de vêtements amples et sombres. Toujours ces mêmes Stan Smith aux pieds. Je la voyais s’engouffrer dans la porte battante de l’hôtel. Dans le tambour, elle retirait l’élastique qui retenait sa queue de cheval. Moi, tapi derrière la porte, j’attendais, j’écoutais, je surveillais. Entendrai-je ses pas feutrés sur l’épaisse moquette du couloir ? Allait-elle frapper à la porte voisine ? A la porte de ma chambre ? Mon cœur battait à tout rompre, comme un jeune amoureux attendant la venue de sa promise. Ou comme un cambrioleur perpétrant son premier casse.

Et si elle était un rat d’hôtel ? Une voleuse qui visitait justement les chambres vides ?

Ou une professionnelle de l’amour, une call girl venant chaque semaine honorer un contrat avec un client. Toujours le même ou chaque fois différent.

Ou une amante qui retrouvait chaque lundi l’homme qui avait réussi à tromper l’attention et la vigilance de son épouse ?

Une amoureuse ? Une voleuse ? Une racoleuse ? Une Arsène Lupin des temps modernes ?

Qu’importe qui elle était. Elle était un mystère que je ne voulais surtout pas résoudre. Un phantasme inaccessible.

Je ne voulais pas savoir. Chaque semaine, j’avais hâte que le week-end se termine pour reprendre ma voiture, repartir dans cette ville où je travaillais en début de semaine.

Retrouver mon hôtel le lundi soir et guetter Juliette.

 

© Amor-Fati 26 octobre 2017 Tous droits réservés. Contact : amor-fati@amor-fati.fr

22 Comments

  • Nath

    Voir une personne et ne pas savoir ce qu’elle fait ni où elle va. J’aime bien la fin, car on peut laisser son imagination gambader. Reviendra t-elle, peut-être plus jamais. Peut-être se croiseront-ils ou peut-être pas ? J’ai passé une agréable matinée

  • Antigone

    Oui j’aime bien terminer ton texte en ne sachant pas non plus, et en ne voulant pas savoir… Finalement, laisser courir son imagination, n’est-ce pas ce qu’il y a de mieux ? On ressort de ton texte avec plein de scénarios possibles et d’histoires racontées, c’est chouette !

  • Manue Rêva

    Oh oui, imaginer plutôt que de se confronter à la réalité, ça rend la vie plus douce, ou ça lui donne un brin d’exotisme !!! Il a raison de ne pas vouloir savoir et de continuer à construire des scénarios !

  • Nady

    ton texte me fait penser à ma voisine qui observe de sa terrasse un monsieur à la fenêtre de sa chambre d’hôtel en semaine à pianoter sur son écran… je vais lui faire lire ton texte 😉 rétablis toi vite, suis si triste de ne pas te voir le 4/11 !

  • Amor-Fati

    A oui. Moi aussi. Annie et moi nous faisions un grand plaisir de venir. Tout était réservé.. bus hôtel.. . Il faut tout decommander. Je penserai bien à vous le 4..

  • Moran

    Sympa ce petit texte, Jean Marc! 🙂 comme souvent… 😉
    Par contre, j’ai noté un petit « bug ». Juliette passe tous les lundi (mot que tu utilises 3 fois) mais vers les 2/3 de la nouvelle, tu écris « chaque jeudi »…
    Bonne journée

    • Amor-Fati

      Oui oui, je sais… Au début, j’avais mis jeudi. Et puis, j’ai eu l’idée de le faire réfléchir le week-end… J’ai donc modifié pour lundi. Sauf que j’en ai oublié un… Je corrige !!

  • la fllibust

    C’est bien des stan smith pour ne pas se faire repérer, mais les allers et venues sont beaucoup moins discrètes, donc elle ne souhaite pas se cacher si les rendez-vous sont si ponctuels, non ?

  • blandine C

    c’est hyper frustrant de ne pas savoir la fin parce que quand on lit une histoire on veut toujours connaitre la fin. mais finalement, dans la vraie vie, ça se passe le plus souvent comme ça. Pour qui est curieux, on observe plein de choses dont on n’a que très rarement la clef… et on laisse l’imagination combler les trous.

  • Valou

    Un très beau texte, qui éveille l’imagination, comme le profil de cet homme ou cette femme qui passe régulièrement sous les fenêtres de notre bureau. On ne saura peut-être jamais d’où il/elle vient, où il/elle va… mais c’est si beau comme occupation d’imaginer…

Répondre à Jos Plume Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.