La disparitin
Atelier d’écriture sur le site Ipagination: la lettre O. Un peu court comme sujet. Voici la copie que j’ai rendue. Bonne lecture. JMB
Je m’étais faite belle, j’avais mis un superbe chapeau sur ma tête, triangle équilatéral à deux pics destiné à changer un peu le timbre habituel, un peu aigu, à ce qu’il parait, du cri qui est le mien. J’avais lu quelque part qu’un site internet d’écrivains en herbe et de lecteurs, de temps en temps, demandait à ses habitués de créer des petits textes destinés à faire la fête aux lettres, aux chiffres et aux phrases en général. Pas mal de mes amis avaient déjà participé. Le A, le U. Je pensais bien que rapidement , les administrateurs me feraient signe.
Et puis j’ai attendu. J’ai bien vu qu’il se passait des bruissements sur le site. Juillet était passé, septembre arriverait à temps, et entre les deux, juste entre les deux, j’ai senti une espèce d’énervement, exactement le même que j’avais ressenti en janvier dernier. U est venu me rendre visite. « J’ai entendu des bruits m’a-t-il dit. Il parait que tu es sur la ligne de départ. Il y a des rumeurs qui se diffusent ici et qui disent que avant septembre, peut-être décembre, tu serais la vedette, que tu aurais enfin la Une. » J’étais devenue fébrile, en attente de cette date fatidique.
Hélas rien n’est venu. Matin après matin, j’ai regardé les sujets. Je les ai lus les uns après les autres. Il y en avait des beaux, des verts et des pas mûrs, mais jamais au grand jamais je n’ai pu en lire un qui parlait de la lettre qui suit le N.
Je ne suis pas aimée, pas invitée, les dirigeants ne veulent pas entendre parler de mézigue. Je ne suis pas dans les petits papiers des rédacteurs et des élites qui écrivent les sujets. Je me ferai discrète pendant les années à venir. Si par hasard, une semaine venue, quelqu’un pense me mettre au premier rang, c’est avec plaisir que je dirai présent. En attendant, laissez la vie aller grand chemin et revenez si l’envie se présente. Que je n’apparaisse pas n’est pas vraiment grave. Je n’en ferai pas un plat.
Je suis quand même déçue. Déçue de ne pas être élue. Déçue de passer à la trappe, de ne pas être mise au premier rang. Je suis quand même une lettre que les enfants aiment écrire, parce que je suis facile à dessiner. Juste un cercle avec une petite queue. Mais, visiblement, je suis mal aimée. Et j’ai des preuves. Regarde bien lecteur, si tu sais qui je suis, relis le texte que tu as devant les yeux, et tu verras que je n’y apparais pas. Sur aucune ligne. A aucun instant. Dans aucun substantif, verbe, adverbe, adjectif, déterminant. Nulle part. Tu peux chercher une heure si tu veux ! Même dans un texte qui fait de ma présence le sujet principal, je suis invisible.
Si ici, il y a des gens qui ne savent pas qui je suis, sachez que je suis la quinzième lettre de l’alphabet, entre le N raide tel un I et le P qui ressemble à un demi D. J’ai rarement un accent, pas marseillais évidemment, mais que les enfants appellent chapeau …. Turlututu….
Allez, je suis sûre que maintenant les lecteurs savent qui je suis, mais je suis tellement timide que je ne le dirai pas, je laisse à chacun le plaisir de me mimer, en mettant les lèvres bien en avant et en faisant une espèce de cercle.
Allez-y !
Ensemble…
Maintenant !!!
O !!
© JM Bassetti le 19/08/2014. Reproduction interdite sans accord de l’auteur.