Atelier d'écriture,  Au fil des jours

Le clic qui balance

camille

Concours de nouvelles organisé par Monbestseller : Mais pourquoi ai-je donc liké Camille Britton ?

Camille Britton, ne cherchez pas qui c’est… Vous ne connaissez pas ; un homme, une femme ? Taille, look, caractère, allure ? On n’en sait pas plus, et moi,  je ne peux pas vous aider. Si le personnage est toxique ? aucune idée. La seule chose que je sache, c’est que vous avez cliqué sur son nom…

Les causes les conséquences et en quoi cela a changé votre destin et/ou celui de votre entourage.
Une cellule psychologique qui assiste le jury prestigieux vous aidera à surmonter cette épreuve ou… ce bonheur absolu. 
Et même, vous récompensera. Tout dépend.

Le tout dans une nouvelle de 6000 caractères, espaces compris.

Voici ma copie…


 

La lumière, toujours la lumière… personne n’éteint donc jamais la lumière ici ?

On m’avait pourtant prévenu : « Si tu te fais gauler, si tu vas en taule, tu verras : le plus chiant c’est la lumière. Elle s’éteint jamais, comme dans les poulaillers modernes pour que les poules soient paumées et ne distinguent pas le jour de la nuit et pondent comme des folles. En taule, tout est pénible, faut te méfier de tout. Mais la lumière c’est pire que tout… »

Moi qui aimais tant m’isoler, réfléchir dans le noir, regarder le plafond sans le voir, je suis obligé de trouver une autre solution. Fermer les yeux, plonger la tête dans l’oreiller, remonter mon col au-dessus de mes yeux. De nouvelles gymnastiques, de nouvelles postures pour enfin trouver l’obscurité. Et faire le vide. Quand je le peux.

Pourtant, la lumière, je l’ai aimée, elle a été mon alliée pour travailler, pour gagner ma vie. C’était mon job. Si on peut dire.

Aller là où il y avait du monde, là où il y avait la foule. Là où il y avait le fric. Et traquer l’inattention. Attendre le moment où les quidams sont concentrés sur une activité et utiliser cette concentration comme une arme contre eux-mêmes. Etre concentré sur un point, c’est être distrait sur un autre. Quand tu cherches un horaire d’avion, un billet de train, un numéro de téléphone, tu fais pas gaffe à ton portefeuille, à ton sac à main, à ta veste posée sur une chaise, à ta sacoche sur le siège bébé du caddy.

Et j’en ai piqué des sacs, des sacoches, des porte-monnaie, des chéquiers, des cartes bancaires. Chez moi, c’était une véritable succursale de la banque.

Mais je connais trop bien le boulot pour ne pas faire d’erreur, l’erreur du débutant trop heureux de son nouveau butin. Le fric liquide, je l’écoulais rapidement, aucun risque là-dessus. Avec le liquide, je m’achetais à bouffer, à boire, des bouteilles d’alcool, des fringues, des bricoles que je gardais pas. Les chéquiers, je faisais plus gaffe. Je connaissais les magasins qui ne demandaient pas de pièce d’identité. Et si une caissière me réclamait ma carte, je lui faisais mon plus beau sourire et neuf fois sur dix, ça passait. Mais je revenais plus dans le magasin. Trop dangereux. Pas envie de me faire piquer. Les potes m’avaient dit pour la taule. Et j’avais pas envie de tester.

Les cartes bancaires, c’était pareil. Je m’en méfiais comme de la peste. Le top du top, c’était quand je prenais le sac à main entier et que la gonzesse était une blonde qui avait noté son code sur un papier dans le sac. Là, j’étais le roi du pétrole. J’allais dans un magasin, je testais avec une petite somme en ayant toujours assez en espèces sur moi. Si le code fonctionnait pas, je jouais l’imbécile, je payais en liquide et je partais fissa. Si le code était ok, c’était bonnard pour quelques heures. Après, la carte était grillée et fallait plus y toucher. Pour les cartes, fallait être rapide, plus rapide que les banques, mais faire gaffe à tout. Surtout aux distributeurs qui ont tous des caméras…

J’étais le plus méfiant des méfiants. Je laissais rien au hasard.

Mais petit à petit, j’ai fini par réussir à faire mon trou et à être considéré par les flics comme un voleur reconnaissable et un gibier intéressant. Une reconnaissance dont je me serais bien passé. Et je sais pas comment ces tordus y sont parvenus, comment ils ont fait, mais un jour, j’ai vu un avis de recherche avec ma photo dessus. Mon nom et ma tête. Derrière le bureau de la caisse centrale du Carrefour d’Epinal où j’allais souvent. Là, j’ai senti qu’il fallait que je me fasse tout petit, que je me fonde dans la foule pour passer le plus inaperçu possible.

Je me suis même dit que le mieux serait de faire une retraite, que je me planque, et que je me montre pas pendant un moment. J’ai fait un gros plein de bouffe, je suis parti loin d’Epinal et j’ai pris une chambre d’hôtel. Près de Clermont, au beau milieu de la France. A l’ombre quelques semaines, histoire de me faire oublier. J’avais un peu de liquide, ce qui me permettait de vivre quelque temps sans laisser de traces. Pendant trois semaines, je me suis baladé d’hôtel en hôtel, je ne restais pas plus de trois jours au même endroit pour ne pas attirer l’attention. Je passais mes journées à glander, à roupiller ou à regarder la télé ou des vidéos sur le net. Pas de coups de fil à personne. Pas de nouvelles. Rien.

Et puis un matin, à six heures, j’ai entendu ma porte d’hôtel s’ouvrir, et une meute de mecs est entrée. Avec des cagoules, des casques, des pistolets et des fusils. Tout ce petit monde a déboulé dans ma piaule en hurlant, et le temps que je réalise, j’étais déjà au sol, les mains dans le dos et le genou d’un gros flic au milieu de la colonne vertébrale. Immobilisé. Comme une tortue sur le dos. Incapable de faire le moindre mouvement.

Une heure après, j‘étais au commissariat. Sonné. Je ne comprenais pas ce que je faisais là. Qui m’avait donné. Je n’avais prévenu personne. Qui pouvait bien savoir que j’étais dans le massif central, moi le Jurassien qui ne sortais que rarement de ma paroisse…

« Comment m’avez-vous trouvé ? j’ai demandé.

– Géolocalisé mon p’tit gars, m’a répondu le flic qui me surveillait. Facebook.

-Facebook ?

– Ouais.

Il ouvrit mon dossier et en sortit une feuille.

– Depuis combien de temps tu la connais la petite Britton ?

– Qui ça ?

– Camille Britton ! T’es sourd ou quoi ?

– Camille Britton, connais pas… C’est qui ?

– C’est moi qui pose les questions, tu permets… C’est à cause d’elle que tu es là !

– Je sais même pas qui c’est. Son nom ne me dit rien…

Il a à nouveau regardé mon dossier.

– Ah, voilà ! Camille Britton… tu as cliqué « J’aime » sur un article qu’elle a posté dimanche soir à 21h52. »

Et là, ça m’est revenu… Dimanche, j’étais affalé sur mon lit avec mon ordi portable, en train de mater d’un œil un film à la télé. Je me baladais sur différents profils facebook, je zappais, et d’un coup, j’ai vu, tu sais quoi ? Ma photo. Ouais, ma tronche sur internet. Un avis de recherche. Comme quoi j’étais recherché dans la région d’Epinal. Pour différents vols. Et je ne sais pas pourquoi, comme un con, j’ai liké. J’ai pas fait gaffe. Depuis des mois, je faisais attention à tout. Et là, j’ai vu ma gueule. Je l’ai trouvée cool cette photo. J’me suis trouvé pas mal. Belle gueule. J’ai liké la photo de Camille machin là. C’est un clic qui m’a balancé. Juste un petit clic. Quel con quand même ! Bordel de merde. Quel con, mais quel con je fais….. Pourquoi j’ai liké Camille Britton ?

La lumière, toujours la lumière… mais putain, personne n’éteint donc jamais la lumière ici ?

© JM Bassetti. Saint Aubin, le 21 Mai 2015. Reproduction interdite sans l’accord de l’auteur.

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