Atelier d'écriture

Le dernier des quatre

C’est Claude Huré qui a fourni cette semaine la photo support à l’atelier n° 212 de Bricabook.
Comme tous les lundis, sauf la semaine dernière où l’image ne m’a pas inspiré du tout.
C’est amusant, car mardi, quand j’ai reçu la photo de Claude, que vous pouvez voir ci-dessous, j’ai su tout de suite ce que j’allais écrire. Au premier coup d’oeil.Bonne lecture !!!

batman

Depuis qu’il s’est retiré des affaires et de la vie publique, Bruce a pris l’habitude de venir dans le square de sa ville chérie. Il se contente de marcher maintenant, et il est déjà bien heureux quand il arrive à faire le même tour que la veille, chaque journée qui passe lui retirant quelque chose : une aptitude ou une habitude qu’il lui faut maintenant modifier. C’est le lot de chacun et le drame de la vieillesse.
Martha et Thomas, ses parents, avaient déjà l’habitude de l’emmener au parc après l’école. Il y prenait son goûter presque tous les jours en rêvant à ce qu’il deviendrait plus tard.
Ces deux marronniers, il les connait depuis toujours. Il y a cinquante ans, ils étaient déjà là. Moins imposants forcément, mais il pouvait déjà appuyer son vélo contre leurs troncs solides.
Depuis, l’eau a coulé sous les ponts comme on dit. Sa vie a été mouvementée, plus que celle d’un homme ordinaire. Mais l’outrage des ans atteint tout le monde, même ceux qui se croyaient à l’abri et il a bien fallu qu’il arrête ses activités, ce n’était plus de son âge de grimper et de courir ainsi.
C’est Superman qui est parti le premier. Renversé par un vélo en traversant la route un matin du mois de mars, il y a bien quinze ans. Dans la pleine force de l’âge. Le coup a été rude pour tout le monde. Son enterrement a été un déchirement.
La mort de Spiderman a été bien plus pénible encore car il a été longuement malade. Bruce est allé le voir à la clinique, puis dans la maison de convalescence où il a vécu ses derniers mois. Déchirant. Les souvenirs de leurs promenades sur les toits égayaient leurs après-midis pluvieux. Ils essayaient de se souvenir de tout et de tous, amis et ennemis.
Il y a déjà dix ans. Comme le temps passe.
Assis sur son banc, comme chaque jour, Bruce survole les nouvelles de Gotham City. Wonder Woman, quatre-vingt-douze ans, vient de partir à son tour. Des suites d’une longue maladie, précise l’article. Foutu crabe, foutu cancer qui emporte tout le monde, gens du peuple, truands, héros et super héros.
Il est maintenant le dernier des quatre. Le premier sur la pile.
Et lui, lui qui a connu tant de gloire, tant d’honneurs et de sensations fortes dans sa vie, quel est son avenir ? Comment va-t-il finir ? Sous une voiture ? Etouffé à table par une feuille de salade ou emporté par une maladie avilissante ? Maintenant que ses amis héros sont tous partis, qui se souviendra de Batman, l’homme chauve-souris ? Celui qui a régné sur la ville, qui a fait respecter l’ordre et trembler les pires caïds de Gotham ? Qui sera là à son enterrement ? Un frisson lui parcourt le dos.
Bruce Wayne plie son journal, regarde sa montre. Bientôt dix-huit heures. Il est temps de rentrer. Robin doit avoir préparé son bouillon.
Il reviendra demain lire son journal sous ses deux marronniers.
Peut-être…

© Amor-Fati 7 mars 2016 Tous droits réservés. Contact : amor-fati@amor-fati.fr

10 Comments

  • Lafontaine C

    ça me donne envie de pleurer – je pense celui là oui il est parti pourtant il était plus jeune que moi – celui là encore ah oui je ne le reverrai plus et c’est la même chose pour mes bêtes – juste un souvenir et la petite dernière un jour sans doute me tendra sa patte et fermera les yeux – et moi j’attends mon tapis volant, tous dessus, vous êtes beaucoup – j’avance mon Bouvier surveille – on s’en va vers le soleil – on quitte la terre, les humains – la lumière nous attend

  • Curieuse grignoteuse

    C’est vrai, pourquoi cet homme qui semble si ordinaire sur son banc sous les marronniers ne serait pas simplement un super-héros à la retraite?
    J’aime beaucoup ton idée, même si on est loin des frasques habituelles des héros de Marvel. Ton texte leur donne un caractère tellement humain!

    • JMB

      Bien sûr bien loin, mais n’est-ce pas ce que l’écriture et l’imagination nous permettent ? Alors pourquoi se priver ?

  • Claude

    J’adore vraiment. On se balade au milieu de ces héros qui, pour une fois, ne sont pas figés dans le temps. Il y a beaucoup de poésie. Vraiment bien. Ma photo peut être fière de ton texte.

    • JMB

      Alors là, je suis sur le cul. Cette dernière phrase est le plus beau compliment qu’on puisse me faire. Merci Claude !!

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