Au fil des jours

Ma blonde

 

 

Maxime se leva de son lit après avoir raccroché le téléphone. Une longue conversation vidéo avec Judith, «sa blonde», comme il disait, comme on disait chez elle. 

« Judith mon Amour, je file vers toi. J’ai tant aimé nos vacances l’été dernier. Tu me manques tellement. La surprise que tu vas avoir, je te dis même pas !

Il parlait tout seul. 

Le jeune homme attrapa une bière dans la cuisine. Il était heureux, dansait et parlait tout seul dans l’appartement. La décision qu’il venait de prendre était sa première vraie décision d’homme. Pas besoin de l’avis de ses parents, ni de ses copains !

– Plein le cul des conversations qui n’en finissent pas, des petits mots doux à cinq mille kilomètres de distance. Moi ce que je veux, c’est te serrer dans mes bras. T’embrasser, me blottir contre toi !!! Faire l’amour avec toi ! Je veux tout de toi. Tout de suite.

Il criait, il dansait, tournait avec son oreiller dans les bras, tapant des pieds sans s’occuper des voisins

– Je vais revoir Judith, je vais revoir Judith !!!

Judith…

Une grande blonde aux yeux verts, perchée sur des jambes de plus d’un mètre. Souriante, légère, gaie, radieuse, et avec un accent tellement authentique. Les français adorent l’accent québécois, et Maxime avait succombé à son charme. Ils s’étaient rencontrés par pur hasard dans un magasin de souvenirs du Mont Saint Michel pendant les vacances d’été. Judith était de passage dans la Manche, étape obligée dans le tour d’Europe qu’elle avait commencé au début du mois de juillet et qui lui avait déjà fait visiter l’Allemagne, la Belgique, le Danemark et la Suisse avant de prendre un train pour Paris. Elle avait décidé de suivre les côtes de la Manche et de l’Atlantique jusqu’aux Pyrénées avant de passer quelques jours sur la côte d’Azur et de repartir vers le Québec retrouver sa famille et son job de secrétaire. 

Maxime lui, habitait Paris où il était étudiant en architecture. Il logeait dans un petit studio de la rue de Bagnolet, dans le vingtième, tout près du Cimetière du Père Lachaise où il aimait se promener, aussi bizarre que cela paraisse. Il était en quatrième année et avait une passion pour les vieux bâtiments parisiens et les vieilles pierres moyenâgeuses. C’est cet amour de la construction féodale qui l’avait mené au Mont -Saint Michel pour admirer l’abbaye et la construction des plus anciennes maisons du mont.

Depuis trois mois qu’elle était repartie à Montréal, il ne se passait pas une journée sans qu’ils se parlent, ou qu’ils se voient sur leurs téléphones respectifs. Sur leurs cellulaires, comme elle disait. Les applications pour  conversations vidéo, c’était vraiment l’idéal pour les jeunes couples comme eux. Pour ceux que l’amour avait jetés dans les bras l’un de l’autre, à l’aveuglette, sans tenir compte des lieux d’habitation, des distances. Cupidon était bien négligent parfois lorsqu’il lançait ses flèches.

Et ce soir, après avoir parlé pendant plus d’une heure avec Judith, Maxime avait décidé d’aller la voir chez elle. De lui faire la surprise et de débarquer à Montréal comme ça, sans prévenir, un matin de bonne heure avec des croissants.

Et depuis le jour de cette décision, Maxime n’en pouvait plus. Il avait décidé de la date du voyage en fonction des prix proposés par les compagnies aériennes. L’amour fou n’empêchait pas d’essayer de voler à un prix raisonnable. Il avait changé de l’argent, obtenu son Autorisation de Voyage Electronique sur internet, avait regardé en détails le plan de Montréal, s’était baladé virtuellement dans la ville, histoire de s’y familiariser avant son arrivée sur place. Le marché Jean Talon, tout près de l’appartement de Judith, n’avait plus de secret pour lui, de même que le Mont Royal ou la cathédrale qu’il avait visitée sur le site de la ville.

Les derniers jours avaient été les plus difficiles. Il était fébrile, impatient. Les discussions vidéo avec Judith devenaient difficiles. Maxime devait mentir, raconter des histoires sur son emploi du temps et sur ce qu’il avait projeté de faire dans les jours à venir. Il était un peu tendu, craignait perpétuellement de faire des gaffes, de se contredire parfois, de dire le contraire de ce qu’il avait affirmé la veille.

Les nuits aussi devenaient pénibles. Il était vraiment temps qu’il parte. Evidemment il imaginait son arrivée sous l’angle le meilleur qu’il puisse espérer, mais rien ne lui assurait que l’accueil serait excellent. Et si elle n’était pas heureuse de le recevoir ? Et s’il y avait quelque chose qu’elle lui avait caché ? Si lui était capable de mentir et de raconter des bobards au téléphone, peut-être en serait-elle capable aussi ? Et si elle avait quelqu’un d’autre à Montréal ?  Il savait que sa visite comportait des risques et que la réaction pourrait ne pas être à la hauteur de ses espérances. Mais c’était un risque qu’il avait accepté de courir.

Métro, RER, attente à l’aéroport, salle d’embarquement, attente encore, puis huit longues heures de vol au-dessus de l’Atlantique. Lorsque Maxime récupéra son sac à l’aéroport Pierre Elliot Trudeau après une nouvelle demi-heure d’attente, il était nerveusement épuisé. Il lui restait juste à faire le trajet vers les bras de Judith. D’abord la ligne 747 en bus qui lui permettrait de gagner le centre ville, puis le métro, direction Jean Talon. Il avait tout étudié avant de partir. Le trajet lui parut court par rapport à ce qu’il avait vécu jusque là. Il découvrait, de bonne heure le matin, les rues de Montréal qu’il n’avait vues que dans des films. Il savourait pour son grand plaisir le parler des québécois, les expressions qu’il attrapait au passage, les mots typiquement locaux et certaines phrases qu’il ne comprenait pas du tout.

Judith lui avait dit que son week-end allait être calme, qu’elle allait rester tranquillement chez elle pour se reposer de sa semaine qui avait été plutôt agitée. «Une bonne grasse matinée me fera le plus grand bien» lui avait-elle assuré.

C’est pourquoi Maxime fut surpris de ne recevoir aucune réponse après son premier coup de sonnette. Il appuya à nouveau sur l’interrupteur et laissa sonner un peu plus longtemps. Elle devait avoir le sommeil lourd. Après le troisième coup de sonnette, Maxime entendit enfin du bruit dans l’appartement. Il était rassuré, elle ne lui avait pas menti. Un pas traînard et visiblement peu réveillé avançait vers la porte d’entrée. Le coeur de Maxime battait à tout rompre. Il avait hâte de voir la tête de sa blonde, de sa bien aimée. Il avait fait cinq mille kilomètres pour recevoir le baiser de la surprise. Et la surprise, ce fut lui qui la reçut en pleine figure lorsqu’un homme d’une petite trentaine d’année lui ouvrit la porte. Vêtu seulement d’un T shirt et d’un caleçon long froissé, l’homme avait visiblement été réveillé par les coups de sonnette répétés. Maxime crut que son cœur allait s’arrêter sur le champ. Son pire cauchemar se réalisait. Il y avait pensé pourtant. Judith n’était pas seule et n’avait pas que lui dans sa vie.

– C’est pourquoi ? demanda l’homme

Maxime avait du mal à parler. Une boule bloquait l’air dans sa gorge et l’empêchait de s’exprimer correctement.

– Bonjour, je ne suis pas chez Judith Blondeaux ?

– Bien sûr que si tu y es chez Judith, c’est bien écrit sur la porte.

– Alors c’est elle que je veux voir..

Maxime était agacé de voir cet homme. Sa bonne humeur s’était évanouie. Il était grand temps que tout cela se termine.

– C’est que Judith n’est pas là, là. Elle est partie hier soir.

Maxime voulait savoir. 

– Partie ? Mais tu es qui toi ? Qu’est-ce que tu fous chez Judith ?

– Arrête donc de me chanter des bêtises. Judith, elle est partie, j’te dis. Moi, j’suis juste son cousin, elle m’a prêté son flat le temps de son absence. Parce que je suis juste de passage là! Et puis toi, je sais pas qui tu es de ton côté, mais, tu la verras pas tantôt. Elle est partie à Paris pour voir son chum. Elle voulait lui faire une surprise !

© Amor-Fati 29 janvier 2019 Tous droits réservés. Contact : amor-fati@amor-fati.fr

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