Quand faut y aller…
Elle avait pris la précaution de retirer ses chaussons. Elle poussa doucement la porte de la chambre et dans l’obscurité s’avança à pas de loup. Elle connaissait par cœur les recoins de la pièce, évitant ainsi de cogner un objet qui aurait pu faire du bruit. Avec délicatesse, elle avançait, un pied après l’autre, caressant des orteils nus le parquet de chêne ciré.
D’une main elle repoussa doucement les papiers qui trainaient sur le bureau et déposa le plateau avec délicatesse. Puis, toujours en silence, elle se dirigea vers la fenêtre, évitant soigneusement une chaussette ou un slip qu’elle n’avait pas encore eu le temps de ramasser pour la lessive. Elle le ferait dans la matinée en rangeant la chambre, une fois qu’il serait parti.
D’un geste assuré par des d’années d’expérience, elle tira le rideau opaque qui glissa silencieusement sur sa tringle. Immédiatement, la lumière envahit la pièce. Elle ouvrit la fenêtre pour laisser entrer l’air frais du matin.
Il était sept heures.
Ne craignant plus le bruit, elle s’approcha du lit d’un pas plus assuré et s’assit sur la couverture bleue qui pendait jusqu’au sol. Elle tendit la main vers la tête de son fils encore posée sur l’oreiller. Il dormait à poings fermés, ou du moins, voulait-il le faire croire. Elle passa la main dans ses cheveux courts. Que c’était bon ! Tous les matins, c’était le même plaisir. La main d’une mère dans les cheveux de son enfant. Un geste séculaire que toutes les mères connaissent bien. Le premier vrai plaisir de chaque jour ! Doucement, elle pencha la tête en avant et déposa un baiser sur la tempe du dormeur. Il attendait ce moment chaque matin pour entrouvrir les yeux. Chaque jour la même comédie. Un rite immuable qu’ils connaissaient bien tous les deux.
« Bonjour maman, prononça-t-il doucement. Sa bouche était pâteuse, engluée par le sommeil.
– Bonjour mon chéri, répondit-elle en posant un nouveau baiser cette fois-ci sur la joue de son fils. C’est le grand jour aujourd’hui !
– Oh non, maman, pas aujourd’hui, encore une petite semaine.
– Allez, ne fais pas ta comédie, comme tous les ans. Tiens, je t’ai apporté ton petit déjeuner au lit pour bien commencer ta journée, mon grand. »
Elle se leva tout doucement, dirigea ses pas vers le bureau et se saisit du plateau de verre incrusté d’ailes de papillons collées les unes contre les autres et formant un paysage asiatique, le Fujiyama certainement, du moins, aimait-elle le penser.
Lentement, il se redressa dans son petit lit, attrapa d’une main hasardeuse l’oreiller encore chaud de sa sueur nocturne et le plaça derrière son dos. Quand il fut bien calé, les mains sur la couverture, elle déposa sur ses genoux le plateau au milieu duquel trônait un bol de chocolat fumant. De chaque côté du récipient brûlant, elle avait disposé une tartine de pain frais qu’elle était allée acheter à la boulangerie en bas de la rue. Chaque morceau était copieusement tartiné de beurre et de confiture de mûre, sa préférée. Un des derniers pots de l’année. Bientôt, elle irait dans son coin à mûres refaire le plein et confectionner les trente-cinq pots habituels pour ses petits déjeuners quotidiens. Car il n’en voulait pas d’autres…
Il saisit la tartine de droite et croqua à belles dents. Elle profita de l’instant pour commencer à parler.
« Pas d’histoires cette année, Didier. Tu as bien profité des vacances, maintenant, il est temps de rentrer.
Il ne s’attendait pas à une attaque si violente, du moins pas tout de suite. Il reposa le pain sur le plateau et tenta d’avaler sa bouchée. Mais il avait une grosse boule dans la gorge et la nourriture avait du mal à passer. Finalement, il déglutit, et, des sanglots dans la voix, demanda :
– Les prochaines vacances, c’est quand, maman ?
– Fin octobre, tu le sais bien ! Allez, sois grand, ça va passer vite. Finis ton bol et va prendre ta douche.
– C’était bien les vacances hein maman ?
– Oui mon chéri, mais c’est fini, il faut y aller maintenant.
– C’était bien la plage, hein maman ? On s’est bien baigné cette année ?
Mentalement, il se revoyait sur la plage du Croisic, marchant plus de cent mètres pour rejoindre la mer à marée basse. Il revivait ses parties acharnées de ballon avec ses amis également touristes dans la station balnéaire, les châteaux construits avec application, les tartines de confiture d’abricot du goûter, les longues discussions sous le parasol. Et puis Myriam… Myriam qu’il retrouverait peut-être à la Toussaint, du moins l’avait-elle laissé entendre. Myriam. Son joli maillot de bain bleu et vert, comme ses yeux. Peut-être le souvenir des yeux de Myriam ferait-il passer cette première période plus rapidement ?
– Allez, dépêche-toi maintenant. Avale ton déjeuner et file dans la salle de bains, je ne veux pas que tu sois en retard.
– Tu m’accompagneras, m’man ? J’ai un peu peur.
– Mais oui mon chéri, tu le sais bien. Depuis que tu vas à l’école, je n’ai pas raté une rentrée. Je serais une bien mauvaise mère si je ne venais pas avec toi un jour comme celui-là !
Cette pensée le revigora. Il termina sa tartine, but la moitié du bol de chocolat et déclara :
– J’en veux plus, j’ai pas faim. Ça passe pas.
– Bon, je n’insiste pas, reprit la maman, mais demain, pas d’histoire. Pas question de partir à l’école le ventre vide, tu m’entends ? Un sac de patates vides, ça ne tient pas debout, je te l’ai toujours dit.
– Oui maman, promis.
Il se leva, enfila ses mules, remonta maladroitement son pantalon de pyjama dont l’élastique passait par-dessus la veste boutonnée jusqu’en haut et entra dans la salle de bains.
La douche coulait. Elle ne perdit pas de temps. Elle ouvrit en grand le lit pour bien l’aérer, frotta le drap du dessous comme pour retirer les miasmes de la nuit, les acariens et les petites bêtes du sommeil et posa dessus un pantalon noir, une chemise bleu ciel, un slip de coton blanc et une paire de chaussettes unies. Tout avait été soigneusement repassé la veille, y compris les chaussettes ! Puis elle ramassa le linge sale qui trainait, se saisit du plateau et disparut dans la cuisine.
Quinze minutes plus tard, il arriva dans le couloir, tout propre et tout brillant, vêtu de ses habits de rentrée. Son regard se posa sur le cartable noir qui attendait patiemment près de la porte de l’appartement, semblant lui lancer un défi.
– Que tu es beau mon fils ! Tu es prêt ?
– Oui maman. Je suis prêt, maman, on peut y aller…
Sa voix était tremblotante et incertaine.
– Quand faut y aller… commença-t-elle…
– Faut y aller, répondit-il dans un sanglot.
– Allez, courage , lui dit-elle en déposant sur sa joue un nouveau baiser plein d’amour et de tendresse.
Elle le regarda droit dans les yeux. Une larme perlait et commençait à s’avancer vers l’aile du nez.
– Ca va bien se passer mon chéri, ne t’en fais pas. Je sais que tous les ans, tu as du mal à y retourner, c’est normal, mais il faut bien que tu ailles à l’école, tu ne peux pas être en vacances toute l’année.
Elle ouvrit le placard, attrapa sa veste et la posa sur ses épaules. La matinée était fraiche en ce début septembre. Puis elle se saisit du cartable posé par terre et ouvrit la porte d’entrée.
– Je te le porte jusqu’au bout de la rue de l’école, mais après, tu le prendras tout seul, promis ?
– Oui maman.
– Et puis les jours qui suivent, tu iras tout seul à l’école. Sans moi.
– Juré maman.
Il tendit le bras et cracha par terre, sur le trottoir.
– Je ne comprends toujours pas pourquoi tu n’aimes pas l’école et pourquoi tu me fais la même comédie tous les ans.
– Les maîtresses me font peur et les enfants se moquent de moi. Je veux pas y aller.
– Depuis le temps, je pensais tout de même que tu allais t’y faire. Tu es grand maintenant, Didier. Tu as quand même cinquante-cinq ans et tu es le directeur de cette école…
– Je sais maman, mais j’ai pas envie… »
Modification du 3 septembre 2017. Didier, qui est mon meilleur ami est maintenant en retraite en même temps que moi. Il ne fera donc pas cette nouvelle rentrée. Merci de modifier à votre gré en mettant le prénom que vous souhaitez.
Bonne rentrée à toutes et à tous.
© JM Bassetti 02/09/2013 Tous droits réservés.
One Comment
Laurence
Et moi, je viens de laisser mon bb à l’internat !!!
Aujourd’hui, pour la première fois il a regretté d’avoir grandit !