Atelier d'écriture,  Au fil des jours

Super-jalousies

Coucou, c’est lundi !!!

Bonne lecture des textes de l’atelier de Leiloona… Bon, je suis un peu en retard, mais pas trop… Week-end agité dirons-nous.


Ah non, ils ne disaient rien. Chacun rongeait son frein mais intérieurement, ça bouillait dans leurs corps. S’ils n’avaient peur du scandale, ils se rouleraient bien par terre en se bourrant de coups de poings, comme au bon vieux temps de leurs gloires déchues.
Depuis leur arrivée ici, ils s’ennuyaient ferme. Repas à dix-huit heures, dominos, scrabble, jeu du bac, lecture du journal. Ah, il était loin le temps où on avait besoin d’eux, où ils volaient par monts et par vaux pour sauver l’un, pour attaquer l’autre, pour rétablir la paix mondiale, pour rendre la vie un peu plus agréable pour les habitants de leurs cités respectives.
Ils étaient dans la salle télé lorsque Loïs avait fait son apparition, entourée de deux aides-soignantes qui la tenaient chacune par un bras. Ils la reconnurent tout de suite. A un rien, à un trait du visage, à sa chevelure, certes plus grise, mais dont certains reflets leur rappelaient la crinière d’antan qu’ils avaient tous aimée. Tous les trois levèrent les yeux en même temps, abandonnant ainsi le présentateur du jeu qui continuait inlassablement à poser des questions.
Loïs Lane. Ils avaient tous les trois été follement amoureux d’elle. Mais aucun ne l’avait eue réellement. Chacun avait eu une brève aventure avec elle. C’est pourquoi ils connaissaient tous les trois le goût de ses baisers, la douceur de sa peau, la volupté de ses caresses.
Maintenant, leurs désirs étaient bien moindres qu’il y a vingt ou trente ans. S’asseoir à côté d’elle, lui avancer sa chaise, lui tendre la corbeille à pain. Un sourire d’elle et ils fondaient. Mais la jalousie était là, insidieuse, au fond de leurs cœurs. Et l’épisode du repas de ce midi les avait touchés tous les trois. Ce serait trop long à raconter mais la colère était en eux. Forte et violente.
Alors chacun se calmait comme il pouvait. Clark se cachait les yeux. Le noir lui faisait du bien, lui qui avait si souvent joué avec la lumière. Bruce jouait avec sa casquette qui lui rappelait un peu le masque qu’il portait dans les folles années de sa jeunesse. Dans sa poche, un double de la clé de sa dernière Batmobile le rassurait et il vérifiait souvent qu’elle était toujours là. Quant à Peter, il regardait au loin, les yeux perdus dans ses souvenirs, à la recherche d’une éventuelle araignée qui pourrait s’aventurer.
Ils n’osaient pas se regarder, ni même se parler. Ils savaient que le moindre mot de travers pouvait déclencher une bagarre dont ils ne mesuraient l’ampleur.
Alors Superman, Batman et Spiderman s’ignoraient, tout simplement. Obligés de s’asseoir côte à côte sur le seul banc devant la maison de retraite des mimosas, sans rien dire, sans se regarder.
Au repas de ce soir, qui allait s’asseoir près de Superwoman ? Il y aurait forcément un élu et deux déçus. Dans une heure, après le feuilleton, il sera bien temps d’y penser.

© Amor-Fati 22 janvier 2018 Tous droits réservés. Contact : amor-fati@amor-fati.fr

9 Comments

  • Nady

    Waouuuu ! Un texte plein de messages sur les retraités, le temps qui passe et l’amour qu’on a rêvé jeune ou juste frôlé. .. Elle est touchante ton histoire. Quelle superwoman Loïs Lane ! J’ai envie d’en savoir plus sur elle… Une autre fois dans une suite peut être ?

  • Jos

    J’aime l’humour de ton texte, mais ne peux m’empêcher d’y voir aussi l’idée de la gloire déchue propre à la vieillesse. Un texte drôle dans l’idée, mais au message fort. Merci Amor Fati

  • Adele

    Mais oui, on peut avoir 80 ans et être amoureux comme à 20 ! Et être beau et séduisant à travers les âges, si l’autre est à l’unisson des coeurs qui battent. Et Lois semble avoir gardé ses pouvoirs magiques sur les hommes.
    Joli clin d’oeil, surtout pour moi qui travaille en maison de retraite !
    NB nous avons eu quelques années un ancien commissaire au nom de … Navarro !

  • Terjit

    La maison de retraite des superhéros !! Belle idée, mais pas que. J’aime le début du texte qui place le décor sinistre de la vieillesse, les illusions perdues, puis cet éclat de lumière venu du passé. L’amour n’a pas d’âge et permet de rester jeune encore un peu plus longtemps.

  • Valerie

    Un texte très plaisant. J’imagine les trois petits vieux faisant les yeux doux à superrwoman pour avoir la faveur de s’assoir à ses côtés…

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