Au fil des jours

Pas une trace.

violence

Arnaud claqua la porte de la voiture. Il paraissait tendu. Tranquillement, Louise s’installa à côté de lui. Elle boutonna son manteau.

« Tu peux mettre le chauffage s’il te plait Arnaud ? Il caille, c’est pas possible…

– Allez, on y va, il est déjà minuit. Demain, on bosse, tu te rends pas compte ?

– Oui, moi aussi je suis fatiguée. J’ai hâte de me coucher. On a passé une bonne soirée non ?

– Si t’avais pas trainé comme ça à dire au revoir à tout le monde. Et que je te bise, et que je te rebise… Je bouillais moi… On devrait être loin déjà à cette heure.

– J’espère que ça s’est bien passé avec la baby sitter. J’ai envoyé un texto à dix heures, ils dormaient. Pas de nouvelles depuis. J’espère que tout va bien.

– Justement, tu fais bien d’en parler.  Avec tes au revoir qui n’en finissaient pas, on va sûrement payer une heure de plus. Mais ça, ça te passe au-dessus, je suppose.

– Arnaud, s’il te plait. C’est ma famille, je ne les vois pas si souvent.

– Pas souvent ? Je sais pas ce qu’il te faut. Ca fait déjà trois fois depuis le début de l’année qu’on se tape ce genre de repas de famille interminable.

– Arnaud…

La voiture roulait dans la nuit. Arnaud conduisait brutalement, sans souplesse. Trop vite, sûrement trop vite. Il passait les vitesses sèchement, sans chercher à ménager le moteur.

– Et qu’est-ce qui t’a pris de rigoler comme ça avec ta cousine ?

Louise remua les doigts.

– Elle racontait des conneries, ça m’a fait bien rire, c’est tout.

– Mais tu riais tout fort, on n’entendait que toi…

– Et alors ? Quelle importance ? Tu as bien parlé et rigolé avec mon cousin, toi ?

– Il n’est pas question de moi, ne change pas de sujet, veux-tu ? Qu’est-ce que tu as voulu faire en rigolant comme ça ? Tu as voulu m’humilier ? Tu as voulu me ridiculiser ?

Louise avança la main vers la manette du chauffage, mais elle se ravisa. Elle augmenta légèrement le volume de la radio. Machinalement, elle tripota les touches de son téléphone portable. Les kilomètres défilaient. Et le silence s’installait.

– On a bien mangé en tout cas, tenta Louise.

– Oui. C’est vrai, c’était assez réussi. Pour une fois. Par contre ta mousse au chocolat était beaucoup trop sucrée.

– C’est la recette de ta mère, je l’ai suivie au mot près.

– Au mot près ? Ma pauvre Louise… Alors explique-moi comment ça se fait que celle de maman est meilleure…

– Au mot près, je te dis, Arnaud.

– Allez, tu dis n’importe quoi. Tout le monde s’est rendu compte qu’elle était trop sucrée. Je ne savais plus où me foutre, moi. Tu aurais vu la tête d’Axel !

– Betty m’a dit qu’elle était excellente.  Tu pourrais monter un peu le chauffage s’il te plait ? Je suis gelée.

– Moi, j’étouffe déjà. Pas question que je remonte quoique ce soit. Couvre toi. Remonte ton col. Au prix où je l’ai payé ton manteau, il faut bien qu’il serve à quelque chose. »

Silencieusement, Louise remonta le col de son manteau noir. Elle cacha son nez dans la fourrure et renifla.

 

D’un geste ferme et sûr, Betty referma la porte du lave-vaisselle.

-« Ouf. Terminé. La cuisine sera nickel demain matin au réveil.

– Oui, c’est mieux comme ça, ça donne un peu de boulot, mais au moins, la maison est rangée. Sympa la soirée, comme d’habitude ma chérie.

– Merci de m’avoir aidée. Tout s’est bien passé. Je suis contente. Mes parents ont l’air en forme. Ca m’a fait plaisir de les voir comme ça.

– Oui, mais il y a quand même un truc qui m’embête.

– Ah bon ? Quoi ? Raconte…

– Tu as vu ta sœur et Arnaud ?

– Oui, comme d’habitude. Quel chieur ce mec..

– Tu n’as pas vu comment il la regardait quand elle rigolait avec Sophie ? On avait l’impression que ça le faisait chier qu’elle s’amuse comme ça.

– C’est toujours comme ça, tu sais bien. Au dernier repas, il l’a aussi reprise parce qu’elle riait. On dirait que ça lui retire quelque chose à lui le fait qu’elle s’amuse.

– Oui, et au mariage de Maxime, tu te souviens la comédie à cause du short de garçons ?

– Et à l’anniversaire de mes parents, j’ai trouvé Louise qui pleurait dans la cuisine parce qu’Arnaud lui avait reproché devant tout le monde de ne pas porter le collier qu’il lui avait offert pour son anniversaire.

– A chaque fois c’est pareil, il faut toujours qu’il trouve quelque chose à lui reprocher. Pas moyen qu’il lui foute la paix, qu’il la laisse vivre tranquille… A chaque repas, il y a une nouvelle raison de la casser et de la recasser.

– Et nous, on ne dit rien. Elle m’en a parlé plusieurs fois, mais il faut lui tirer les vers du nez. Elle n’ose rien dire. Pourquoi personne n’ose lui dire quoique ce soit ? Arnaud, il peut être charmant, charmeur, agréable, mais parfois, tu ne sais pas pourquoi, il prend plaisir à démolir Louise, comme ça, sans réelle raison valable.

– Oui. Et tes parents s’en rendent compte aussi, ton père me l’a fait remarquer la dernière fois… ta mère en est malade…

– La prochaine fois, s’il recommence, il faut lui dire. Paul, tu lui diras quelque chose ?

– Oui. Mais en même temps, c’est pas nos oignons ; Si on lui dit quelque chose…

– Ce sera peut-être pire pour elle, tu as raison.

– On verra. Mais s’il va trop loin…»

 

« Louise ? Je suis couché, tu viens ?

– Une minute, je me démaquille.

Louise était dans la salle de bain, face à son miroir. Elle avait caché son visage depuis leur arrivée à la maison. Elle savait bien que les larmes versées au creux de son manteau avaient fait couler son mascara. Pourvu qu’il ne se soit rendu compte de rien. Rapidement, elle se saisit d’une cotonnette et de sa bouteille de démaquillant. Cacher vite au cas où il arriverait. Deux rapides coups de coton effacèrent les dégâts. Plus personne ne se rendrait compte de rien maintenant. Même pas elle. Son visage était normal. Plus aucune trace de ces larmes une nouvelle fois versées sur sa vie, sur son amour-propre. Il ne s’était rien passé. Tout était redevenu normal.

Louise finit de se démaquiller, rinça son visage et étala sa crème de nuit. Elle se regarda à nouveau dans le miroir. Aucune trace de maltraitance. Pas un bleu, pas une trace de coup. Tout allait bien. Demain, elle pourra rire, donner le change à ses amies et à ses collègues. Tout le monde la prendra, comme d’habitude, pour une femme heureuse, amoureuse, mère de famille comblée. Elle rongera son frein et fera bonne figure jusqu’au soir, quand Arnaud rentrera. Comment sera-t-il ? Quel reproche lui fera-t-il encore ? Qu’elle se garde à droite, le coup viendra de la gauche, insidieux, mesquin.

«  Pourvu qu’il dorme… se dit Louise en marchant silencieusement vers la chambre.

Doucement, sur la pointe des pieds, elle contourna le lit. Le plus doucement possible, elle souleva le coin de la couette et se coucha. Sans la moindre secousse, elle posa sa tête sur l’oreiller. Ses yeux fixèrent la lumière bleue du réveil.  Elle tournait le dos à Arnaud. Il dormait sûrement à poings fermés. Elle se décontracta et allongea enfin les jambes. Elle sentit soudain une main se poser sur son épaule et descendre vers son sein gauche.

– Viens, approche toi, j’ai envie de toi mon amour. »

Louise recula docilement, sans se retourner, ferma les yeux et serra les dents.

 

Certaines femmes sont des femmes battues sans avoir jamais reçu un coup.

Le 25 Novembre est la journée internationale contre les violences faites aux femmes.

© JM Bassetti 25 Novembre 2013. Tous droits réservés.

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© Amor-Fati 25 novembre 2013 Tous droits réservés. Contact : amor-fati@amor-fati.fr

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